Lisez ci-dessous sa nouvelle (l’incipit en italique a été proposé par l’écrivain de fantasy Jean-Philippe JAWORSKI) :
La Fièvre de la Troisième mer
La queue de la tempête jetait encore des gouttes éparses sur le pare-brise, et Lise sentait dans le volant la violence des dernières rafales. Elle avait eu du mal à gagner la route côtière. Des lignes électriques pendaient le long des rues ; la chaussée était jonchée de débris et de poubelles renversées ; il avait même fallu contourner un arbre couché que tronçonnaient des employés municipaux.
Lise se gara sur le bas-côté, non loin du sentier des douaniers. À peine dehors, elle fut giflée par le vent, cheveux rabattus sur le visage. Quoique la marée fût basse, un rugissement monocorde montait de l’océan, mais ce n’était pas le gros temps qui retenait l’attention. Lise regardait le rivage avec effarement. Ses informations étaient exactes : une large partie des dunes littorales avaient disparu. À la place ne restait qu’un replat délavé où l’eau des mares et des ruissellements frissonnait sous la bourrasque… Et sur ce terrain ancien, décapé par la tourmente, saillaient des centaines de souches et quelques troncs couchés. Toute une forêt pétrifiée, ensevelie depuis la nuit des temps, que le déchaînement des éléments venait de mettre au jour.
Lise contempla ce prodige lessivé, sans savoir si elle tremblait de froid ou d’émerveillement. Les premières éclaircies couraient sur la houle et jetaient çà et là de fugaces chatoiements. Au mépris du danger, Lise quitta la route, descendit vers les essarts préhistoriques. Elle éprouva un vertige, la griserie que procurent les départs pour des destinations incertaines.
Elle serait la première à fouler ce sol depuis les peuples pêcheurs de l’âge du bronze ou de la pierre polie. Dans les miroitements des écoulements, elle croyait deviner des pointes de silex ou des haches verdies. Plus bas, sur la laisse de mer, ce qui ressemblait à un gros tas de varechs accrocha son regard ; sa forme avait vaguement l’allure d’un corps échoué. Avec un mélange d’appréhension et de curiosité, Lise marcha vers cette troublante épave. La mer avait pris une étrange couleur verte et ses vagues venaient lécher les pieds de Lise. Celle-ci enfila ses gants de protection et entreprit de retirer les algues pour libérer l’homme au teint violacé. Elle l’examina rapidement avant de le confier à ses collègues de la troisième brigade qui l’emmèneront au centre de recherches. Encore un malade touché par la FDM. Lise retourna difficilement dans sa voiture, les violentes bourrasques l’empêchant d’avancer. Elle devait retourner à la caserne faire son rapport. Elle retira ses gants. Même seule dans sa voiture, la loi l’interdisait de retirer son masque à gaz. Il la protégeait contre la FDM.
Cette nouvelle maladie meurtrière qui avait débarqué en même temps que le navire minier D.L.T.A en 2153. En arrivant, le capitaine Christophe Torent avait rendu son dernier souffle en prédisant l’arrivée d’une maladie mortelle qu’il avait contracté dans une épave lors d’une expédition. Personne n’avait pris au sérieux le vieil homme qui paraissait complètement fou. Et, deux jours plus tard, tous ceux qui étaient présents lors de la Prédiction ont été étrangement touchés par un mal inconnu de tous. Le Président a immédiatement réagi et a nommé les quatre meilleurs pompiers du Pays chefs de brigade anti-Fièvre De la Mer. Ceux-ci ont donc engagé en tant que disciples, des médecins, des chercheurs et des pompiers pour leur brigade.
Les quatre casernes anti-FDM se sont rapidement spécialisées en un domaine chacune ; la première n’est composée que de chercheurs qui étudient les malades atteints de la FDM pour trouver un semblant de vaccin ; la deuxième s’occupe de distribuer des médicaments, combinaisons protectrices et masques à gaz aux quatre coins du Pays . la troisième brigade emmène les malades aliénés au centre de recherches (qui est en fait la caserne de la première brigade) ; la quatrième est la brigade qui est chargée des missions les plus périlleuses, comme d’aller trouver des malades sur les côtes de la troisième mer, celle où les chercheurs pensent avoir trouvé l’ «épave du D.L.T.A» seize ans après le départ de la pandémie. Les chercheurs refusent de livrer des informations à son sujet aux trois autres casernes, surtout à la quatrième.
Lise faisait partit de celle-là et était chargée des tâches les plus dangereuses. Après chacune d’entre elles, la jeune femme devait faire son rapport à Teru, le tristement célèbre chef de sa brigade. Lise partait alors en voiture et s’aventurait sur les routes fissurées et abîmées pour retourner à sa caserne. Aujourd’hui, le chemin était étroit, accidenté et la pluie l’avait rendu très glissant. Le vieux 4×4 de Lise pouvait à peine passer.
Soudain, les roues dérapèrent violemment sur un objet inconnu et un pneu éclata. Lise sentit une, deux, trois violentes secousses et une odeur de brûlé avant que tout ne devienne noir et sans vie. Le néant. Le vide, le sombre…Alors c’était vraiment la fin ? Avoir attendu si longtemps la fin de cette fichue pandémie pour n’en voir finalement que le début ? Non. C’était absolument hors de question ! Elle ne pouvait pas en finir ici !
Lise parvint difficilement à ouvrir ses yeux. Elle toussa et regarda autours d’elle. Ça ne sentait plus le brûlé. Elle était dans un lit d’hôpital et un homme en blouse blanche était à son chevet. Une petite machine à côté de lui émettait de petits «bip» réguliers et le docteur se leva pour s’adresser à elle :
« Bien, Mme Dupont, je vous informe que vous avez reçu un violent choc au crâne et une fracture au bras droit suite à votre accident de voiture sur la route 203 menant à la caserne de la quatrième brigade. Lors de son tour de garde, le sergent Orius vous a retrouvée inconsciente et vous a emmenée à l’hôpital le plus proche. Vous êtes restées exactement deux jours et quatre heures dans un coma partiel et Mr Orius souhaitait vous voir dès que vous seriez éveillée. En ce moment, il est derrière la porte, dans le couloir et attend votre accord pour rentrer. Puis-je lui ouvrir ?
– Je… Oui ? » répondit maladroitement Lise, un peu perdue par ce long discours.
Avant même que le docteur n’ouvre la porte, un homme maigre comme un manche à balai en uniforme militaire entra en force et s’assit au chevet de Lise. Le docteur soupira et sortit en grommelant.
« Lise, tu m’as fait tellement peur ! T’imagines pas la frayeur que tu m’as faite quand j’t’ai trouvée à moitié morte ! J’suis tellement soulagé qu’t’ailles bien ! J’suis horrifié par ton état ! J’ai tellement de trucs à t’dire ! explosa le jeune homme en tripotant sa veste nerveusement.
– Anton! Calme-toi, voyons ! » s’esclaffa Lise.
Anton Orius, son ami d’enfance était comme ça. Il stressait pour tout et pour rien et se contredisait tout seul sans s’en rendre compte ! Il continua :
« Mais tu vas bien au moins ? Tu sais sur quoi t’as roulé, moi je sais! J’t’ai apporté des cookies fait maison! Ils sont délicieux ! Mais ils ne sont pas top, désolé… Et !
– Anton ! l’interrompit la jeune fille.
-Oui, pardon, pardon… s’excusa le jeune homme en tremblant.
– Tu sais sur quoi j’ai roulé et où c’était?
– Non, oui !
– Super ! Tu peux me le dire, qu’on aille le retirer d’au milieu d’la route ! C’est dangereux.
– De quoi ? demanda Anton.
– Mais…
– Ah oui, les cookies ! Où j’les ai mis ? » s’interrogea le jeune homme en fouillant ses poches.
Il tendit alors un petit sachet à Lise qui le prit et soupira :
« L’objet sur lequel j’ai roulé, Anton… L’objet !
– Ha oui oui oui ! C’était une sorte de petite trappe en bois. Non, c’était grand et en métal ! Euh… C’était une trappe, quoi ! Je pense qu’elle avait été enterrée et que la pluie la fait ressurgir de terre !
-D’accord, tu sais où elle était cette… trappe ?
-Non… Enfin si ! C’était vers le chêne où on jouait quand on était p’tits ! Tu t’rappelles ?
-Tu peux m’y emmener ? Je ne peux plus conduire…
– Ho non non non ! Tu es blessées et …. D’accord, on y va quand tu veux ! »
Lise sourit et se laissa faire lorsque le jeune homme la porta jusqu’à son propre 4×4. Anton démarra et vingt minutes plus tard, la voiture s’arrêta sur la chaussée couverte de boue. Les deux amis sortirent et Anton montra à Lise une sorte de trappe fermée. Ils supposèrent qu’il s’agissait d’un bunker souterrain. Anton tenta de forcer la porte et Lise vint l’aider. Ā deux, ils réussirent à ouvrir la trappe de métal qui se souleva en grinçant. Au fond, ce n’était qu’obscurité et humidité. On ne voyait que le début d’une vieille échelle toute rouillée.
Anton partit chercher sa lampe de poche et il commença à descendre sous les protestations de Lise qui lui criait que c’était sûrement dangereux. Mais, bien sûr, elle ne pouvait pas le laisser y aller seul. En s’aidant de son bras gauche encore intact, elle le rejoignit. L’échelle grinça et au prix de terribles efforts, ils touchèrent le fond, un sol de béton mouillé. Une faible lueur rouge éclairait le long couloir sinistre qui s’étendait devant eux. La voix de Lise fit sursauter le jeune homme terrorisé :
« Un bunker vieux d’au moins quinze ans a été construit ici sans l’accord de la quatrième brigade…
– Oui et cet endroit me fiche la chair de poule!
– Chut! Regarde ! » murmura Lise, inquiète.
Au loin, au fond du couloir angoissant, il y avait une porte en acier entrouverte. Anton s’approcha et sursauta violemment lorsqu’un chien déchaîné qui les observait, tapis dans l’ombre, leur sauta dessus. Il aboya sauvagement et Anton dégaina son Desert Eagle. Quant à Lise et son bras cassé, elle peinait à sortir le sien. Le pitbull le remarqua et se jeta sur elle. Il ouvrit la gueule en dévoilant ses canines acérées et couvertes de baves luisantes lorsqu’une voix retentit dans le couloir :
« Carlton! Ça suffit ! »
Un homme aux cheveux noirs venait d’arriver et apparemment, le chien lui appartenait.
« Vous avez lâché le chien sur nous exprès ?! Monstre! Vous nous avez sauvés ! Merci beaucoup ! s’écria Anton.
– Qui êtes-vous ? Comment êtes-vous arrivés ici ? L’entrée était ensevelie sous la terre et la boue ! J’y ai veillé personnellement! s’énerva l’inconnu.
– Moi c’est Lise et lui c’est Anton. Au nom de la loi, je souhaite savoir ce que ce bunker fabriqué illégalement sur le territoire de la quatrième brigade fait ici !
– Ah ah! ça fait dix-neuf ans que je suis installé ici et ce n’est que maintenant que vous réagissez ?! » se moqua l’homme.
Anton sourit à son tour et pointa son Desert Eagle menaçant sur lui.
« Qui êtes-vous ? Pour la dernière fois! Explosa le sergent.
– On se calme ! Je suis Loïc Torent ! Chercheur et scientifique travaillant dans ce bunker sans en être sorti depuis dix-neuf ans afin de trouver un vaccin contre la FDM. Vous êtes contents ? Céda alors le jeune chercheur exaspéré.
– Pourquoi travaillez-vous seul dans ce cas ? Pourquoi ne pas rejoindre la première brigade? S’étonna Lise, pas très convaincue.
– Savez-vous d’où vient la FDM ? Demanda Loïc.
– Oui, bien sûr ! Mais ce n’est pas le su…!
– Très bien ! La coupa-t-il. Elle provient d’une épave dans laquelle une maladie s’est développée puis s’est dispersée lors de l’expédition du navire du D.L.TA. Vous savez que le capitaine Christophe Torent est le premier mort de cette maladie meurtrière et qu’il est mort sous le nom de «fou porteur de maladie ? »
Mais saviez-vous qu’il était également mon père? Et que je travaille depuis ce jour tragique sur un vaccin que j’ai peut-être enfin mis au point ? Il ne me reste plus qu’à tester mon chef d’œuvre sur un malade ! Hélas, personne de sain d’esprit ne se laisserait contaminer volontairement pour servir de cobaye à un chercheur fils d’un «fou porteur de maladie»…
« Moi, je me porte volontaire, s’écria Lise, sûre d’elle.
– Tu es folle, alors ! Risquer sa vie pour un homme que tu ne connais même pas ! s’écria Loïc, tétanisé.
– Si le vaccin marche… Je n’aurai pas risqué ma vie pour toi mais pour le monde entier ! insista la jeune femme.
– Très bien… céda le chercheur.
– Et moi dans l’histoire ? Je ne le laisserai pas te tuer ! Hors de question de te laisser mourir aussi stupidement ! s’interposa Anton en tremblant violemment.
– Mais si je ne le fais pas, qui le fera ?
– Et moi ! Tu m’as oublié?! Toi, la! Loïc ! Fais ce stupide test sur moi, fais le doucement, qu’on en finisse au plus vite ! explosa-t-il.
Loïc emmena donc Anton, sous les protestations insistantes et désespérées de Lise.
– La maladie peut te tuer en quelques minutes seulement ! Tu ne sais pas dans quoi tu t’engages ! » hurla-t-elle lorsque Loïc, en évitant son regard, posa un casque noir couvert de fils sur la tête d’Anton.
Soudain, le jeune sergent se mit à tousser, à convulser et Loïc attrapa une seringue remplie d’un liquide transparent qu’il planta dans le bras d’Anton qui commençait alors à cracher du sang. Lise paniqua et se jeta dans les bras d’Anton qui, à son grand soulagement, arrêta de tousser. D’une petite voix, il annonça :
« Tu vois ? Je vais bien… »
Alors, il perdit connaissance. Loïc se prit la tête dans les mains et hoqueta de joie en murmurant quelques phrases incompréhensibles :
« Je n’ai plus qu’à…. Et j’aurai… Fier…Je l’ai vengé!!
– Quand je dirai ça à maître Teru ! Il sera si fier de vous ! Et il demandera à la première brigade de recopier ce vaccin et à la troisième brigade de le distribuer! » explosa Lise.
2190 :
« Eric Dupont ! Au lieu de bavarder avec tes amis, viens plutôt m’expliquer comment notre Pays a vaincu la FDM ! tonna la voix du professeur d’histoire.
– Encore ? Cette maladie s’est transformée en simple rhume ! Pourquoi en faire tout un plat ? Ma mère et mon père y ont mis fin, point ! s’écria fièrement le garçon.
-Et bien si tu n’as retenu que cela… Interro surprise sur la FDM ! chantonna la vieille femme.
-Naannnnnnnnnnn! » crièrent en chœur tous les élèves.